Thaïlande : Cessez l’acharnement judiciaire contre Anchana Heemmina, défendez la liberté d’expression
GENÈVE, Suisse (22 juillet 2025) – L’Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA) et Front Line Defenders condamnent fermement l’intensification de l’acharnement judiciaire du gouvernement thaïlandais contre la défenseuse des droits humains Anchana Heemmina.
Le 17 juin 2025, des accusations supplémentaires ont été portées contre Heemmina en vertu de l’article 14 (1) de la loi de 2007 sur l’informatique pour avoir importé des données fausses ou déformées dans un système informatique. Les accusations découlent d’un message posté sur Facebook par Anchana Heemmina en mai 2024, dans lequel elle s’inquiétait du fait qu’un camp militaire n’aurait pas payé sa facture d’eau.
FORUM-ASIA et Front Line Defenders exhortent conjointement les autorités thaïlandaises à abandonner immédiatement et sans condition toutes les charges retenues contre Anchana Heemmina.
En vertu de la loi de 2007 sur l’informatique, les autorités thaïes peuvent bloquer ou supprimer des sites Web ou du contenu en ligne. Amendée en 2017, la loi octroie aux autorités des pouvoirs étendus pour limiter la liberté d’expression, renforcer la surveillance et la censure et pour engager des représailles contre des activistes.
La loi est fréquemment utilisée pour intimider et réduire au silence les voix critiques. Elle est également utilisée pour porter des accusations de diffamation visant à supprimer la participation du public, communément appelées « poursuites stratégiques contre la participation du public » (SLAPP).
Ce qu’il s’est passé
Anchana Heemina milite en faveur de la consolidation de la paix et de la justice en matière de genre dans l’extrême sud de la Thaïlande.
Le 8 mai 2024, Anchana Heemmina a publié sur Facebook un message concernant une mosquée qui réclamait 20 000 bahts (616 USD) à un camp militaire qui avait puisé de l’eau dans sa propriété. Anchana Heemmina s’était d’abord trompée de lieu, mais elle a ensuite corrigé son erreur désignant le district de Sai Buri, dans la province de Pattani. Dans son message, elle demandait à qui elle pouvait se plaindre.
L’unité militaire prétendument impliquée dans le litige a ensuite publié une déclaration publique expliquant la raison du retard de paiement, et Anchana Heemmina l’a remerciée pour cette clarification.
La marine thaïlandaise du district de Ba Cho a alors déposé une plainte pour diffamation contre Anchana Heemmina, arguant que son message avait porté atteinte à la réputation des unités militaires stationnées dans la région.
Le 14 octobre 2024, la défenseuse a rencontré des enquêteurs pour reconnaître formellement l’accusation de diffamation en vertu de la section 328 du Code pénal thaïlandais.
Le 21 janvier 2025, la police a transmis son cas au procureur provincial de Narathiwat. Depuis Anchana Heemmina doit se présenter devant le parquet chaque mois. Le 17 juin, elle s’est vu notifier une accusation supplémentaire en vertu de la loi de 2007 sur la criminalité informatique (Computer Crime Act) pour désinformation. Le procureur de la province de Narathiwat l’a également officiellement inculpée pour avoir enfreint ladite loi.
Le 3 juillet, Anchana Heemmina a déposé une lettre d’appel auprès du parquet général à Bangkok, affirmant que son message sur Facebook avait été publié de bonne foi et visait simplement à sensibiliser le public aux préoccupations de la communauté locale. Elle a souligné que ses actions servaient l’intérêt public et constituaient un exercice légitime et nécessaire de son droit à la liberté d’expression.
Le 15 juillet, le procureur provincial de Narathiwat a porté de nouvelles accusations contre la défenseuse en vertu de la loi de 2007 sur les crimes informatiques.
Acharnement judiciaire
L’acharnement judiciaire se produit lorsque les autorités étatiques ont recours de manière répétée à des actions judiciaires civiles, pénales ou administratives pour intimider ou réduire au silence des individus, y compris des journalistes et des défenseur⸱ses des droits humains. Cette tactique entraîne les cibles dans de longues procédures judiciaires, ce qui perturbe leur vie personnelle et professionnelle.
Pour avoir exprimé ses opinions politiques, Anchana Heemmina fait l’objet d’acharnement judiciaire.
En 2016, le Commandement des opérations de sécurité intérieure — une agence militaire thaïlandaise chargée de la sécurité nationale — a porté plainte pour diffamation contre Anchana Heemmina et d’autres défenseur⸱ses des droits humains de la Cross Cultural Foundation (CrCF), Pornpen Khongkachonkie et Somchai Homlaor. Suite à une pression soutenue de la société civile et de partisans internationaux, l’armée a abandonné les accusations en 2017.
Les trois défenseur·ses ont été poursuivis pour avoir créé et publié un rapport sur les droits humains intitulé « Torture and Ill-treatment in the Deep South Documented in 2014–2015 » (Torture et mauvais traitements dans l’extrême sud documentés en 2014-2015), coédité et publié par la CrCF, le groupe DuayJai et le Patani Human Rights Organization Network en 2016. Elles estiment que ces accusations ont été portées en représailles contre les efforts qu’elles ont déployés pour documenter et dénoncer les violations des droits humains commises par les forces de sécurité dans l’extrême sud de la Thaïlande.
En 2019, Anchana Heemmina a été la cible d’une campagne de diffamation coordonnée en ligne, utilisant de faux comptes de réseaux sociaux. Malgré leur inaction initiale, Facebook et Twitter ont supprimé les comptes en mars 2020. Facebook a ensuite confirmé que ces comptes étaient liés à l’armée thaïlandaise.
Appel à agir
FORUM-ASIA et Front Line Defenders appellent les autorités thaïlandaises à cesser de se servir des lois comme armes pour supprimer la liberté d’expression. De même, nous exhortons le gouvernement à cesser toute forme d’acharnement judiciaire contre les défenseur-ses des droits humains comme Anchana Heemmina.
En tant que membre actuel du Conseil des droits de l’homme, la Thaïlande doit faire preuve d’un engagement sans faille pour promouvoir et protéger les droits humains, y compris ceux des défenseuses comme Anchana Heemmina.
La situation d’Anchana Heemmina vient s’ajouter à la longue liste de poursuites stratégiques contre la mobilisation du public impliquant des défenseuses des droits humains.
La criminalisation de la liberté d’expression et de la défense des droits humains porte atteinte aux principes démocratiques et menace la protection des libertés fondamentales en Thaïlande.
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L’Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA) est un réseau de 90 organisations membres basées dans 23 pays, principalement en Asie. Fondé en 1991, FORUM-ASIA s’efforce de renforcer les mouvements en faveur des droits humains et du développement durable par la recherche, la sensibilisation, le développement des capacités et les actions de solidarité en Asie et au-delà. Elle jouit d’un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies et d’une relation consultative avec la Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’ASEAN. Le secrétariat de FORUM-ASIA est basé à Bangkok, avec des antennes à Jakarta, Genève et Katmandou. www.forum-asia.org
Front Line Defenders a été fondée à Dublin en 2001 avec pour objectif de protéger les défenseur⸱ses des droits humains en danger, c’est-à-dire les personnes qui agissent de façon non violente pour que soient respectés un ou plusieurs droits garantis par la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Front Line Defenders vise à subvenir aux besoins identifiés par les DDH eux-mêmes en matière de protection. Le siège de Front Line Defenders est situé à Dublin ; elle a également un bureau européen à Bruxelles et du personnel de terrain dans les Amériques, en Asie, en Afrique, en Europe et en Asie centrale, et au Moyen-Orient. www.frontlinedefenders.org
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